Camille Esnée est designer et céramiste de formation. Membre de la communauté des artisans Wecandoo depuis 2021, Camille s’ancre dans une volonté de combiner son savoir-faire, sa curiosité liée aux matériaux, à sa réflexion autour des usages quotidiens et aux histoires qu’ils racontent à propos des utilisateurs. Elle répond à nos questions sur son parcours et partage ses conseils pour développer son univers aussi bien que son entreprise, et se faire connaître.
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Wecandoo : Bonjour Camille ! Tu as un bel univers qui se démarque et qui se ressent sur ton site aussi bien que sur tes réseaux sociaux. Comment est-ce que tu as fait pour développer ton univers ? Quel a été ton parcours ?
Camille Esnée : Depuis que j’ai 15 ans, je suis au contact de l’art appliqué. Après un bac art appliqué, j’ai ensuite fait une formation diplôme des métiers d’art en céramique traditionnelle à Sèvre et un Master en design d’objet.
Mon parcours scolaire m’a permis d’apprendre à faire de la veille inconsciente et consciente et à bien analyser ce qui m’entoure. Ce qui me touche, m’interpelle ou bien me plaît, je récolte et un moment où un autre ça s’intégrera à mon univers. Je vois donc mon travail comme un univers que je nourris et que j’entretiens.
Cela fait plus de 8 ans que je baigne dans le fait de développer mon univers. J’ai donc complètement intégré la méthodologie et aujourd’hui c’est naturel.

Quelle est cette méthodologie que tu as apprise à l’école ?
L’idée, c’est d’abord d’essayer de comprendre ce qu’il se passe autour de moi (tendances, évolutions sociales, culturelles, besoins des usagers). Et aussi d’observer ce à quoi je suis sensible, ce qui me touche, me motive, ce qui créé de l’énergie. À partir de ça, je peux faire ma recette.
La création, c’est un cheminement qui prend du temps. Il faut se poser des questions régulièrement, faire un pas de côté, pour analyser ce cheminement. Cette analyse n’est pas simple à décrire. C’est une partie très introspective du travail.
Je crois que c’était le peintre Pierre Soulage qui disait : “C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche”. C’est exactement ça. Je crée, je fais des choses, mais dès que je fais ces choses, régulièrement, je prends le temps de regarder pour comprendre ce que je fais (choix de couleurs, matière, objet) et m’orienter.
Une fois que cet engrenage est en route, que tu l’as intégré dans ta routine de création, c’est beaucoup plus facile à mettre en place. À l’école, on nous apprend sans relâche l’importance de la médiation. Il faut justifier ses choix, les analyser. Pour moi, c’est devenu complètement naturel, je n’ai plus à réfléchir à la méthode, parce que je l’ai intégrée à l’école.
Tu parles de “médiation”, est-ce que tu peux nous en dire plus sur ce que cela signifie pour toi ?
Se mettre dans une “posture de médiation” pour moi cela signifie accorder un temps précis où j’essaie de mettre à plat ce que je veux dire et comment je veux le dire.
C’est une tâche en continu qui se déroule en arrière-plan tout le temps. Elle permet de valider tes idées aussi. Si tu te dis “je fais ça pour aller là”, alors tu sais que quand tu communiqueras, il faudra que tu expliques “j’ai fait ça pour aller là”.
Cette médiation, cette communication sur ce que tu fais, tu peux la faire une fois que tu as fini un projet, mais aussi quand tu es à mi-parcours. Par exemple, j’aime bien parler du processus de création ou de fabrication, de détails même dans le processus. C’est intéressant et on ne voit pas forcément ce type de contenus sur les réseaux sociaux par exemple.
La médiation, c’est aussi une question de circulation et d’appréhension de ton travail. Comme quand tu passes un oral pour un diplôme. Tu dois penser à la manière dont les personnes vont circuler, leur parcours de découverte de ton travail. Donc la médiation, c’est aussi dans les salons. C’est réfléchir à la façon dont les gens vont percevoir les pièces de leur point de vue physique, comment je veux qu’ils puissent les toucher, pense aux scénarios d’usages etc.
La médiation de mon travail va donc bien au-delà de mon site / réseaux social, c’est une manière de savoir communiquer dessus et de prendre du recul pour mieux comprendre où je vais.

Qu’entends-tu par « savoir communiquer » ? Qu’est-ce que c’est « bien » communiquer d’après toi ?
Pour moi, bien savoir communiquer, cela signifie d’abord savoir s’adapter à mes interlocuteurs. C’est ce qu’on apprend aussi en design d’objet, comprendre les besoins et s’adapter aux différentes couches de la société.
Donc si je parle avec un artisan ou avec un designer, je ne parle pas de la même manière que si je parle à des restaurateurs, boutiques ou d’autres clients. Pour les réseaux sociaux, je sais que ce sont surtout des néophytes, donc je communique de manière plus pédagogue, ma médiation est plus didactique.
En parlant justement des réseaux sociaux, tu as plus de 12K followers sur Instagram et un super engagement. Bravo ! Est-ce que tu pourrais nous donner tes astuces pour en arriver là ?
Ça n’arrive pas du jour au lendemain, c’est une communauté qui se construit au fur et à mesure du temps. En parlant de temps, il faut y consacrer du temps : créer du contenu, mais aussi prendre le temps de répondre à un maximum de personnes.
Mon premier conseil serait de nouer des relations avec d’autres artisans, créateurs, designer… Faire en sorte que tout ça soit un cercle vertueux. Instagram est un très bon moyen de rencontrer, même virtuellement, d’autres pratiquants. Entre créateurs, on réagit, on se donne des conseils, on crée du lien. Cela crée forcément de l’engagement. Au-delà d’un réseau social, Instagram peut devenir un vrai outil de réseau professionnel.
Souvent, les personnes qui me suivent ont fait un atelier avec moi, ou étaient à un salon ou un marché où j’exposais. En fait, les personnes avec qui je parle sur Instagram (clients ou créateurs), sont des personnes que j’ai rencontrées ou bien que je vais rencontrer !
Donc s’il y a un autre conseil que je peux donner pour développer Instagram, c’est de se motiver à faire des salons, des marchés. Il faut participer à des évènements, aller à la rencontre des gens « en vrai ». Instagram devient alors un outil pour faire du réseau, garder le contact.
Enfin, une dernière astuce est d’aller voir des comptes d’artisans qui sont bons sur Instagram et de ceux qui donnent des conseils sur l’influence. En particulier, l’influence lifestyle, puisque c’est ce qu’on vend à travers nos créations finalement.

Pourquoi est-ce que la médiation, entre autre à travers les réseaux sociaux, est importante dans le développement de ton entreprise ? Est-ce que cela a un impact sur tes revenus ?
Je vois mon travail comme évolutif, en perpétuel questionnement. Je pense que c’est ça qui me permet de me développer. Me challenger et avancer progressivement vers les objectifs professionnels. Effectivement, être dans une posture de médiation de mon travail sur les réseaux sociaux me permet d’avoir une clientèle plus étendue. Et donc oui cela impact mes revenus !
En parlant d’entreprise, quand tu as créé la tienne, tu as dû faire des choix pour te définir, définir ton travail, ta marque. Comment as-tu pris ces décisions ?
En ce qui concerne la marque en elle-même (les couleurs, le logo, le style), c’était le plus facile pour moi, car elle découle naturellement de mon univers.
Mais la plus grande question a d’abord été celle de mon positionnement, mon étiquette dans la société. Est-ce que j’étais designer, artisan, les deux ? Et sur quel modèle je devais fonder mon entreprise. Quelle structure, juridiquement et économiquement ?
J’ai eu la chance de faire un incubateur post diplôme dans mon école autour de mon projet entrepreneurial. Cela m’a permis de prendre le temps de me poser toutes ces questions et de trouver les réponses.
Dans mes réflexions, j’étais inspirée par le temps que j’avais passé en Hollande où je travaillais pour un designer/maker qui faisait des grosses pièces en céramique. Là-bas, il n’y avait pas cette division entre designer et artisan, conception et fabrication. En France, c’est difficile de travailler de cette manière. Pourtant, c’est ce que moi, je voulais faire.

Quelle a été ta solution face à cette double identité ?
J’ai d’abord créé une micro-entreprise : double immatriculation en tant que designer et artisan. Aujourd’hui, je suis en cours de création d’une nouvelle société. Pour la partie conception/design, je suis passée à la maison des artistes, pour la fabrication et la vente de mes créations, j’ai une société artisanale.
En France, pour le moment, il n’y a rien qui permette de simplifier ça. Je devais forcément avoir deux statuts, avec toutes les complications administratives et juridiques que cela implique. Imagine : tu es obligée de vendre tes objets en tant qu’artisans, sans vendre la partie conception, alors que c’est pourtant bien toi qui les as conçus ! Cela n’a vraiment pas de sens.
Qui est-ce qui t’a accompagné pour ces aspects juridiques ?
Dans la première étape, en micro-entreprise, l’Urssaf et la CMA. Aujourd’hui, c’est un avocat spécialisé et un comptable. L’alliance Française des Designers est aussi une source d’informations intéressante !
Merci ! Dernière question pour nos lecteurs. Est-ce que tu as des médias ou compte que tu recommandes ?
Oui, il y a des comptes Instagram que j’aime beaucoup sur l’artisanat et le design. Entre autre, je vous conseille d’aller voir Brutal Ceramics, La fabrique Nomade, INMA, Sayhito et Milk Decoration !
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